Viens, sois ma lumière - Les écrits intimes de la Sainte de Calcutta

24 avril 2008

Mère Teresa, éd Lethielleux, 2008, 368 pages, 22,50 euros.

Nous le savons, raconter la vie des saints à nos enfants, leur faire lire leurs histoires édifiantes, à la maison ou au catéchisme, les éclaire et les fortifie. Ces amis de Dieu témoignent de la puissance du Seigneur dans la faiblesse, donnent le goût de la sainteté, invitent à “oser l’amour” (Message de Benoît XVI, XXIIe Journée Mondiale de la Jeunesse, 1er avril 2007). Mais que cela ne reste pas un privilège pour nos petits : à nous aussi de lire ces vies et de nous en nourrir !

Les écrits intimes de Mère Teresa viennent d’être publiés en français, sous le titre inspiré d’une vision reçue par elle du Seigneur : “Viens, sois ma lumière”. Combien elle va l’être cette lumière et combien elle l’est aujourd’hui !

Lumière pour ses chères Sœurs, auxquelles elle était profondément attachée, lumière pour ces milliers de pauvres qu’elle soigna durant sa longue vie, terriblement misérables car en manque total d’amour, lumière qu’elle ne cessera jamais d’être pour le monde entier, surtout pour les athées, pour tous ceux qui vivent loin de Dieu. “Si jamais je deviens sainte –je serai certainement une sainte des “ténèbres”. Je serai continuellement absente du Ciel – pour allumer la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres sur la terre” (lettre citée p. 266).

Dès l’âge de 5 ans et demi, jour de sa Première communion, elle se donne à Dieu et veut vivre de Lui. A dix-huit ans, pleine de zèle missionnaire, elle quitte son pays pour l’Inde et devenir sœur de Lorette, sous le nouveau nom de Teresa, sa chère sainte patronne (la Petite Thérèse, qui elle aussi avait tant désiré partir en Asie et a connu de terribles nuits, combien du Ciel cette dernière devait se réjouir et encourager cette “toute petite” Albanaise !). En avril 1942, enflammée d’amour, elle fait le vœu privé “sous peine de péché mortel, de donner à Dieu tout ce qu’Il pourrait demander, “de ne rien Lui refuser” (…) Ce vœu, pure folie d’amour, manifestait le désir de Mère Teresa de “boire le calice jusqu’à la lie” en se résolvant à dire “oui” à Dieu en toutes circonstances” commente le père Kolodiejchuk (p. 50). Le 10 septembre 1946, c’est au tour du Seigneur de lui parler directement et de lui demander de tout quitter, sa Congrégation, son confort, et de Le suivre en s’identifiant aux plus pauvres, aux plus délaissés, en vivant comme eux (p. 61). Non sans peur et sans difficultés, mais sûre de cet “appel dans l’appel”, elle va, avec beaucoup d’audace, tout en étant prête à obéir en tout à l’Eglise, convaincre son Evêque, puis ses Supérieures, de la laisser partir. “Si une seule famille –si un tout petit enfant malheureux est rendu heureux par l’amour de Jésus, cela ne vaudra-t-il pas la peine que tous nous donnions tout pour cela ?” (lettre citée p. 85).

C’est alors que commence la terrible nuit de Mère Teresa, qui ne va cesser de s’épaissir et de durer (cinquante ans !). Tandis que “Son œuvre” (celle de Dieu) ne fait que s’amplifier, que Mère Teresa est de plus en plus connue, sollicitée, admirée, récompensée (le Prix Nobel de la Paix en 1979, pour le plus prestigieux), elle vit un désert intérieur total, se sentant terriblement rejetée, délaissée par Son Bien Aimé. “Une souffrance qui vaut certainement celle de l’Enfer” écrira-t-elle plusieurs fois, “un vrai et terrible martyr” expliquera le père Cantalamessa.

Il y a une telle contradiction en mon âme. Un désir si profond de Dieu –tellement profond qu’il en est douloureux –une souffrance continuelle- et pourtant ne pas être voulue par Dieu –repoussée- vide- pas de foi – pas d’amour- pas de ferveur. –Les âmes ne m’attirent aucunement – le Ciel ne signifie rien- pour moi il ressemble à un lieu désert- l’idée du Ciel ne signifie rien pour moi et pourtant ce désir torturant de Dieu. – Priez pour moi s’il vous plait afin que je puisse continuer à Lui sourire en dépit de tout. Car je ne suis qu’à Lui – Il a donc tous les droits sur moi. Je suis parfaitement heureuse de n’être personne même pour Dieu ” (lettre citée p. 200).

Elle ne parvient à trouver son Seigneur qu’auprès des pauvres : “Lorsque je marche dans les bidonvilles ou que j’entre dans les trous obscurs –c’est là que Notre Seigneur est toujours réellement présent” (citée p. 198) ; et de ses Sœurs : “j’aime mes Sœurs comme j’aime Jésus –de tout mon cœur, mon âme, mon esprit et ma force” (cité p. 285). Ainsi accomplit-elle parfaitement le plus grand des commandements : “Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même” (Lc 10, 27).

Peu à peu, elle apprend à ne donner aucune importance à ses sentiments, à se dessaisir totalement d’elle-même pour s’identifier entièrement à Jésus Christ sur la Croix, abandonné de tous et surtout de son Père… Nuit totale certes, mais “face obscure” de “Son œuvre” qui va la protéger du feu des médias, la rendant profondément humble et, étonnement, toujours plus gaie, mais surtout qui va porter des fruits extraordinaires de conversion, d’amour pour le Christ dans le monde entier. Merveilleuse icône vivante du Serviteur de Yahvé…

“Ses ténèbres étaient une identification avec ceux qu’elle servait : elle était entraînée de façon mystique dans la douleur profonde qu’ils éprouvaient parce qu’ils se sentaient indésirables et rejetés et, par-dessus tout, parce qu’ils vivaient sans foi en Dieu (p. 250-251…). En embrassant leurs ténèbres, elle les amenait vers la lumière, Jésus” (père Kolodiejchuk, p. 288).

Elle partage à ses Sœurs : “lors de son Incarnation, Jésus est devenu semblable à nous en toutes choses excepté le péché ; mais au moment de la Passion, Il est devenu péché. Il a pris sur Lui nos péchés et c’est pourquoi Il a été rejeté par le Père. Je crois que c’est là la plus grande de toutes les souffrances qu’Il a endurées et la chose qu’Il redoutait le plus dans l’agonie au jardin des Oliviers. Ses paroles sur la Croix exprimaient la profondeur de Sa solitude et de Sa Passion –que même Son propre Père ne Le reconnaisse pas comme Son Fils. Que, malgré toutes Ses souffrances et Son angoisse, Son Père ne Le reconnaisse pas comme Son Fils bien-aimé, comme Il l’avait fait lors du baptême par saint Jean-Baptiste et de la Transfiguration. Vous demandez “pourquoi ?” Parce que Dieu ne peut accepter le péché et que Jésus avait pris sur Lui le péché – Il était devenu péché. Associez-vous vos vœux à cette Passion de Jésus ? Avez-vous conscience que lorsque vous acceptez les vœux, vous acceptez le même destin que Jésus ?” (pp. 287-288). Et elle répète souvent “Comme il est terrible d’être sans Dieu…” (p. 286).

Le Père R. Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, explique : “La solitude atteint son paroxysme sur la croix lorsque Jésus, dans son humanité, se sent abandonné, y compris par le Père : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné”. Ce ne fut pas un cri de découragement et de désespoir comme on l’a parfois pensé. Si les évangélistes l’avaient interprété de cette manière, ils n’auraient certes pas fait dépendre la confession de foi du centurion romain de cette phrase : “Vraiment celui-ci était fils de Dieu !” (Mt 27, 54 ; Mc 15, 39). (…) Ce que l’apôtre Paul évoque comme pouvant être la plus grande souffrance possible et le plus grand renoncement au monde : être “anathème, séparé du Christ, pour (ses) frères” (cf. Rm 9, 1), le Christ sur la croix l’a vécu par rapport à Dieu. Il est devenu l’athée, le sans Dieu, afin que les hommes puissent revenir à Dieu. Il existe en effet un athéisme actif, coupable, qui consiste à refuser Dieu et un athéisme passif, de souffrance et d’expiation, qui consiste à être rejeté, ou à se sentir rejeté par Dieu. Il faudrait interroger les mystiques qui ont vécu, dans une certaine mesure, la nuit obscure du Christ – la dernière d’entre eux étant Mère Teresa de Calcutta – pour comprendre combien cette forme d’athéisme est douloureuse…” (7 avril 2006, 3e méditation de Carême pour le Pape Benoît XVI et la curie).

Ainsi Mère Teresa fait-elle partie de ces “évangélisateurs idéaux dans le monde post-moderne, où l’on vit comme si Dieu n’existait pas”. Ils sont arrivés “tout près du monde où vivent les sans-Dieu. Ils ont connu le vertige de se jeter en bas” (ibid., Avvenire, 26 août 2008).

Mais laissons Ma (Mère en bengali) conclure : “Je n’ai jamais eu de doute. (…) Mais je suis convaincue que c’est Lui et non pas moi. C’est Son œuvre et non mon œuvre. Je suis seulement à Sa disposition. Sans Lui je ne peux rien faire” (lettre citée p. 290). “Son œuvre” n’a donc pas été seulement ces rayonnantes Missionnaires de la Charité, mais avant tout Mère Teresa elle-même, celle qu’Il a rendu “Sa toute petite”, celle qui attendait absolument tout de Lui, sans rien espérer Lui offrir en retour (cf. p. 310). “Très souvent je me sens comme un petit crayon entre les Mains de Dieu. C’est Lui qui écrit, Lui qui pense, Lui qui fait le mouvement, je n’ai qu’à être le crayon” (p. 17)… Quel chef d’œuvre Dieu a-t-il réalisé grâce à ce petit crayon si docile !

L’ensemble des écrits de Mère Teresa (une quarantaine de lettres et des notes personnelles qui courent sur plus de 60 ans) sont donc ici réunis et présentés par le Père Brian Kolodiejchuk, membre de la congrégation des Missionnaires de la Charité. L’ayant côtoyée pendant vingt ans, il est postulateur de sa cause en canonisation. Un livre d’une richesse incroyable, à lire et relire absolument afin que nous puissions nous aussi répondre à cet appel : Viens, sois ma lumière !