Tactique du Diable, lettres d’un vétéran de la tentation à un novice

8 avril 2008

De C.S. Lewis, Editions Brunnen Verlag, Bâle, réédition octobre 2007, 110 p.

C. S. Lewis, connu en France surtout pour ses Chroniques de Narnia, est un penseur et écrivain anglais majeur du 20e siècle. Or, ce professeur de littérature, suite à sa conversion après une enfance difficile, a été un anglican à la foi très profonde et un fin connaisseur de la nature humaine. De là une capacité étonnante à analyser la psychologie de l’homme.

Son ouvrage, quoique écrit en 1942 demeure plus qu’actuel. Il réunit trente et une lettres de conseils de Screwtape, vieux diable de la fonction publique de l’Enfer, à son neveu Wormwood, jeune diable en charge de son premier client. Celui-ci est un jeune homme converti depuis peu au parti de l’“Ennemi”. Mais les démons ne sont pas à court d’idées pour perdre les âmes. Screwtape, voyant les difficultés de son neveu, enseigne à Wormwood les ficelles du métier en abordant les différentes questions auxquelles un démon est régulièrement confronté : l’amour, le temps, l’instant présent, la chasteté, la gourmandise, l’humilité, la prière… A l’occasion, le vétéran Screwtape exprime également son incompréhension et son dégoût pour l’amour de Dieu envers sa créature.

C. S. Lewis se livre ainsi à une formidable psychologie de la tentation du point de vue des démons. Ce renversement de perspective fait des Lettres de Screwtape une œuvre très originale. Il est rare en effet de pouvoir découvrir ce que les démons se disent entre eux ! Satan devient “Notre Père d’En-Bas” et Dieu “l’Ennemi”.

Le tout est écrit avec un fantastique humour. Heureusement, car le lecteur risque de se reconnaître bien souvent sous les traits de ce jeune homme objet de cette diabolique correspondance ! Surtout derrière toutes ses autojustifications et quand ce que l’on croit être des “vertus” se révèlent bel et bien être des vices. Quoique, précise un moment C. Lewis, le diable n’a souvent pas grand-chose à faire, car les hommes, dans la majeur partie des cas, se chargent eux-mêmes de tomber.

Bref, un livre court, facile à lire et excellent !

En voici quelques extraits :

Sur l’existence du diable :

“Au sujet du diable et des démons, les hommes peuvent commettre deux erreurs, Elles sont diamétralement opposées mais aussi graves l’une que l’autre. L’une consiste à nier leur existence, l’autre à y croire mais à leur porter un intérêt excessif et malsain.” (préface, p. 7)

Sur la raison : (C.S. Lewis avait confiance dans la raison humaine, mais il savait aussi que le diable peut en tordre les fils de manière inextricable, que c’est même une de ses stratégies favorites) :

Je prends note (…) du soin que tu prends à le mettre aussi souvent que possible en contact avec son ami matérialiste. Mais n’es tu pas un peu naïf ? On dirait que tu t’imagines l’arracher par le raisonnement aux griffes de l’ennemi. Ceci aurait été possible s’il avait vécu quelques siècles plus tôt. A cette époque-là, les humains savaient encore reconnaître quand une chose était prouvée et quand elle ne l’était pas. Et lorsqu’elle était prouvée, ils y croyaient vraiment. Ils faisaient encore le lien entre la pensée et l’acte, ils étaient prêts à changer leur manière de vivre quand la logique le leur conseillait. Mais, par le moyen de la presse et des autres mass media, nous avons réussi en grande partie à modifier cela. Ton homme a été habitué depuis son enfance, à abriter une douzaine de philosophies contradictoires dans son cerveau. En jugeant d’une doctrine, l’essentiel pour lui n’est pas de savoir si elle est "vraie" ou "fausse" mais si elle est "abstraite" ou "pratique", "démodée"ou "moderne", "souple"ou "rigide ". Les slogans, et non le raisonnement, seront tes meilleurs alliés pour l’éloigner de l’église. Ne perds pas ton temps à essayer de le convaincre que le matérialisme est vrai ! Fais-lui croire qu’il est fort, vigoureux, courageux, que c’est la philosophie de l’avenir. Car c’est à ce genre de chose qu’il est sensible.
L’inconvénient à faire appel au raisonnement, c’est que l’ennemi a l’avantage du terrain. Il sait fort bien argumenter. Tandis que dans le genre de propagande pragmatique que je préconise, il s’est montré depuis des siècles bien inférieur à notre père d’en bas. Par le simple fait d’argumenter, tu éveilles l’esprit de ton protégé. Et une fois qu’il est éveillé, qui peut en prévoir les répercussions ? Même si tu arrives à tordre le fil de ses pensées et que cela tourne à notre avantage, tu constateras que tu as favorisé chez lui l’habitude néfaste de réfléchir aux grands problèmes de la vie et détourné son attention de ce qui tombe sous le sens. Or, c’est ci-dessus que tu feras bien de fixer son attention. Et apprends-lui a appeler cela la " vraie vie " sans lui laisser le temps de s’interroger sur ce qu’il entend par "vrai"” (pp. 9-10).

Sur la tiédeur spirituelle :

“Nous savons que nous avons donné à sa vie une nouvelle orientation, que nous l’avons fait sortir de l’orbite de l’Ennemi. Mais il faut que, lui, il s’imagine que les décisions qui ont amené ce changement de direction sont sans importance et qu’il peut rapidement revenir sur elles. Il ne doit pas soupçonner un seul instant qu’il est en train de s’éloigner imperceptiblement du soleil sur une trajectoire qui va l’entraîner dans l’obscurité et le froid de l’espace lointain. C’est pour cette raison que je suis presque heureux d’apprendre qu’il fréquente encontre l’église et qu’il participe toujours à la Cène. Je sais qu’il y a là un danger. Mais il vaut mieux cela qu’une impression de rupture entre les premiers mois de sa conversion et maintenant. Aussi longtemps qu’il conserve ses habitudes chrétiennes –au moins en apparence- il sera relativement facile de lui faire croire, que tout en s’étant fait de nouveaux amis et tout en se livrant à certaines divertissements, il est sensiblement dans le même état spirituel qu’il y a six semaines” (p. 42).

Sur l’humilité :

“Ton protégé est devenu humble. As-tu attiré son attention sur ce fait ? Toutes les vertus deviennent moins redoutables pour nous dès qu’un homme en a pris conscience, et cela est particulièrement vrai de l’humilité. Attrape-le au moment où il est vraiment pauvre en esprit et souffle-lui à l’oreille la réflexion flatteuse : “Pardi ! Me voilà devenu humble”, et tu verras, presque instantanément, l’orgueil — l’orgueil qu’il tire de son humilité — faire son apparition. S’il en voit le danger et s’emploie à étouffer cette nouvelle forme de vanité, rends-le fier de cette tentative — et ainsi de suite, aussi longtemps que cela te plaira. Pas trop longtemps, cependant, de crainte d’éveiller son sens de l’humour (…), auquel cas il pourrait simplement rire de ton jeu et aller se coucher” (p. 48).

Et enfin sur la prière :

“La meilleure chose à faire, c’est d’ôter au patient toute intention sérieuse de prier. Quand le patient est un adulte qui s’est récemment converti au parti de l’Ennemi, comme c’est le cas de ton homme, on y arrive très bien en l’incitant à se rappeler, - ou à lui faire croire qu’il se rappelle - le caractère bêtement mécanique et répétitif des prières de son enfance. En réaction contre cela, on peut le convaincre que sa prière doit être entièrement spontanée, intérieure, originale (...). On peut même le persuader que son attitude corporelle ne change rien à sa prière. Il faut que tu te redises continuellement que les hommes oublient qu’ils sont des animaux et que tout ce qu’ils font avec leur corps affecte leur âme. C’est drôle, les mortels imaginent toujours que nous leur mettons des idées dans la tête alors qu’en réalité notre travail le plus efficace consiste à leur faire oublier certaines choses.
Si cette technique échoue, tu dois essayer de dévoyer plus subtilement l’intention de ton patient. Le plus simple, c’est de faire en sorte qu’il détache son regard de l’Ennemi pour le diriger vers lui-même. Il faut que tu lu fasses contempler son propre état d’esprit et qu’il essaie de produire des sentiments par sa propre volonté. Quand il prétend solliciter la charité de l’Ennemi, fais en sorte qu’il essaie plutôt de fabriquer en lui-même des sentiments charitables (...). Apprends-lui à juger la valeur de sa prière en fonction du sentiment qu’il réussit ou non à produire. Et ne le laisse jamais soupçonner qu’un succès ou un échec de ce genre dépend en grande partie de son état de santé, de l’entrain ou de la fatigue du moment.
Mais bien sûr l’Ennemi ne va pas fainéanter pendant ce temps-là. Dès qu’il y a prière, il y a danger qu’Il agisse dans l’immédiat. Il est cyniquement indifférent à la dignité de sa position (...), et à ces animaux humains à genoux devant lui il donne la connaissance d’eux-mêmes”
(pp. 18-19).

Nb. La sortie du film Tactique du diable est prévue en 2008 au cinéma. A suivre...