La sexualité selon Jean-Paul II

19 mars 2008

d’Y. Semen, Presses de la renaissance, 2004, 230 p., 17 €

La culture médiatique ambiante voudrait nous faire croire que la morale chrétienne s’oppose à l’épanouissement de la sexualité, par malveillance mais aussi, bien souvent, par ignorance. D’où l’importance de connaître la bonne nouvelle de l’Eglise sur le corps et la sexualité. Importance pour tous les catéchistes, les accompagnateurs d’aumôneries et pour tous chrétiens en général, spécialement les jeunes. L’ouvrage d’Y. Semen, qui s’est imposé comme la référence incontournable en la matière, y parvient fort bien. Un livre donc à lire absolument !

En effet, notre religion, loin d’être une religion de l’immortalité de l’âme, est une religion du corps. Notre foi est fondée sur l’Incarnation. Dieu, Jésus-Christ, comme tout homme, a un corps. Comment dès lors l’Eglise pourrait-elle mépriser le corps ? Et qui dit corps dit aussi sexe.

Après sa longue expérience pastorale et ses recherches fondamentales (cf. son premier ouvrage Amour et responsabilité, 1960), le Pape Jean-Paul II a décidé de commencer son ministère pétrin en présentant une extraordinaire “théologie du corps”. Ainsi, de 1979 à 1984, y consacrait-il 130 audiences du mercredi. Il a offert au monde des enseignements sur le sujet d’une profondeur et d’un niveau (le plus haut !) qui n’avaient jamais été atteints encore dans l’histoire de l’Eglise. George Weigel (le biographe plus complet du Saint Père) qualifie cette théologie du corps de “bombe à retardement théologique [qui] sera probablement regardée comme un tournant, non seulement dans la théologie catholique, mais aussi dans l’histoire de la pensée moderne”. Et le Saint-Père d’expliquer : “Ceux qui cherchent dans le mariage l’accomplissement de leur vocation humaine et chrétienne sont appelés à faire de cette théologie du corps dont nous trouvons l’origine dans la Genèse la substance même de leur vie et de leur comportement” (audience, 2 avr. 1980).

L’ensemble de ces catéchèses du Saint Père a été publié en 2004 aux éditions du Cerf sous le titre Homme et femme il les créa : Une spiritualité du corps, 694 pages. Un livre magnifique mais extrêmement dense et souvent difficile d’accès. Aussi Y. Semen, marié, père de 7 enfants, directeur de l’Institut européen d’études anthropologiques Philanthropos à Fribourg (Suisse) et professeur à la Faculté Libre de Philosophie (IPC-Paris), a-t-il décidé de présenter l’essentiel de cette “théologie du corps”, dans un
ouvrage plus court et plus abordable. En voici un rapide résumé, qui ne remplacera pas la lecture, certainement plus aisée, de l’ouvrage lui-même.

Suivant la pédagogie de Jésus lui-même (Mat., 19, 3-9), Jean-Paul II commence son enseignement en retournant “à l’origine”. Or, à lire le récit de la Genèse, la différence sexuelle est énoncée juste après que l’humanité ait été façonnée à l’image de Dieu. Cela signifie que notre sexualité ne peut être comprise à partir du règne animal, où la sexualité est entièrement subordonnée à la reproduction et la sexualité humaine ne serait en être une sorte de “sublimation culturelle.” La sexualité contribue à faire de nous, en tant qu’homme et femme, l’image de Dieu. Loin de nous ramener à l’animal, elle nous lie à Dieu.

Après la création de la femme, Adam, qui auparavant avait fait l’expérience ontologique de la solitude, s’exclame : “Pour le coup, c‘est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée femme, car elle fût tirée de l’homme”. Premier chant d’amour de l’humanité, prototype du Cantique des Cantiques... “Et ils deviennent une seule chair” : c’est au moment de cette découverte de la communion dans les corps que l’homme et la femme deviennent pleinement image de Dieu. L’acte de chair, le don des corps, qui exprime la totalité de la donation des personnes l’une à l’autre, est ce par quoi l’homme et la femme sont, dans la chair, image de la Trinité divine : “L’homme est devenu image et ressemblance de Dieu non seulement par sa propre humanité mais aussi par la communion des personnes que l’homme et la femme forment dès le début. (...) L’homme devient image de Dieu moins au moment de la solitude qu’au moment de la communion. En effet “dès l’origine” il est non seulement une image qui reflète la solitude d’une Personne qui régit le monde, mais aussi et essentiellement image d’une insondable communion divine de Personnes” (audience 14 nov. 1979). Et il ajoute, ce qui, selon Y. Semen, est d’une portée théologique dont nous n’avons pas fini de prendre la mesure : “Ceci va même peut-être jusqu’à constituer l’aspect théologique le plus profond de tout ce qui peut être dit sur l’homme” .

La communion de l’homme et de la femme inclut donc et culmine dans la communion des corps. Aussi la sexualité est-elle une chose foncièrement bonne : elle est ce par quoi l’homme est icône dans la chair de la communion des personnes divines. Or, tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas de honte l’un devant l’autre continue la Genèse, 2, 25. Les signes corporels de la sexualité, commente M. Semen, étaient vus et même contemplés dans la finalité qui est la leur, à savoir de permettre l’expression de la communion des personnes. Dès lors, l’union charnelle ne peut avoir pour unique objectif la procréation.

Et Jean-Paul II de résumer ainsi le plan de Dieu sur le corps et la sexualité humaine : “L’être humain apparaît dans le monde visible comme l’expression la plus haute du don divin parce qu’il tient en soi la dimension intérieure du don. Et, avec elle, il apporte dans le monde sa ressemblance particulière avec Dieu (...). Comme signe visible, le sacrement se constitue avec l’être humain en tant que corps et par le fait de sa visible masculinité et féminité, le corps en effet — et seulement lui — est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu et en être le signe visible” (audience 20 fév. 1980).

Ceci dit, le péché d’Adam et Eve va détruire ce merveilleux plan divin (Gen., 3, 6-7). Le premier effet du péché va être pour l’homme et la femme de se cacher leur nudité, avant même de se cacher devant Dieu. Cette gêne subite confirme, pour Jean-Paul II, qu’est rompue la capacité originelle qu’ils avaient de communiquer avant la Chute. Comme si la sexualité était devenue un obstacle dans les relations entre homme et femme. Pécheurs, ils ne voient plus leur sexe qu’en référence à la sexualité animale. Surgit alors dans leur conscience le fait qu’ils sont susceptibles de devenir pour l’autre objet de jouissance, de domination, d’appropriation ; d’être réduits à la condition de moyens, de devenir la proie d’un “regard pour le désir” (Mat., 5, 27-28). Bref d’être chosifiés et asservis. Or, quand il prend conscience de cet état de péché, l’homme accuse son propre corps au lieu de regarder l’état de son cœur. C’est là la source du manichéisme et de la dévaluation du sens de la sexualité. Une réaction qui se trouve aux antipodes de la manière juste et chrétienne de considérer le corps (cf. audience du 22 oct. 1980).

Mais le péché originel ne se comprend pas sans la Rédemption. Le premier signe que Jésus opère est au cours d’un repas de noces, à Cana, en Galilée. A la remarque que fait Marie à Jésus : “Ils n’ont plus de vin”, Celui-ci répond mystérieusement : “Que me veux-tu femme ? Mon heure n’est pas encore venue” (Jn., 2, 4). Le dernier signe qu’opère Jésus est aussi au cours d’un repas, celui au cours duquel Il institue l’Eucharistie, et ce repas est encore un repas de noces. Il dit alors : “Père, l’heure est venue. Glorifie ton fils.” (Jn. 17, 1). L’heure du Christ est celle de ses épousailles avec l’Eglise, consenties par le don nuptial qu’Il lui fait de son Corps et de son Sang (audience 18 août 1982, cf. aussi son commentaire du chap. 5 de l’Epître aux Ephésiens, audience du 28 juil. 1982).

Il y a un lien fondamental entre les épousailles chrétiennes et l’œuvre de la Rédemption dans laquelle le Christ s’offre à son Eglise comme un époux à son épouse. Et de même que pour les époux chrétiens la célébration de l’offrande d’eux-mêmes dans le sacrement de mariage ne s’achève que sur la couche nuptiale dans la consommation du don des corps, de même la célébration des noces du Christ et de l’Eglise ne s’achève que sur le bois nuptial de la Croix. Parvenu au moment ultime de son offrande rédemptrice, sur le bois du supplice, Jésus peut dire “tout est consommé”. Depuis, l’Eglise ne cesse de répéter au Christ la parole que toute épouse dit à son époux dans le don des corps : Viens ! Parole qui devient, selon l’expression de Jean-Paul II “le langage même de la liturgie”. Cette parole incessante, l’Eglise la proclame dans chaque Eucharistie, le plus nuptial des sacrements.

Rendre visible sur terre l’amour de Dieu pour l’homme, telle est la mission prophétique des mariés chrétiens. Mission qu’ils ne pourront accomplir qu’en demandant, chaque jour humblement, la grâce de pouvoir vivre du don d’amour total du Christ, Lui qui ne se scandalise d’aucune de nos chutes et est toujours prêt à mettre la lumière là où sont les ténèbres, la communion là où domine la division.