Laudato Si’

18 juin 2015

Pour une lecture non réductrice de la Lettre encyclique du Saint-Père François sur la sauvegarde de la maison commune.
Dieu pour sauver Tobit et guider Tobie sur le chemin de la vie pourvoit. Un ange, l’ange Raphael lui-même, dont le nom signifie « Dieu guérit », et un chien, une créature bien terrestre, le conduiront. Ces deux créatures ne quitteront plus Tobie jusqu’à la fin de son voyage, la maison du Père...

L’encyclique Laudato si’ est bien la première encyclique jamais consacrée à la Création. Aussi devons-nous être très reconnaissants au Saint-Père de nous donner un enseignement complet sur la question, un travail considérable. L’encyclique présente en effet une approche systématique de la sagesse, accumulée par le Magistère pontifical récent, sur la question de la nature dans l’enseignement biblique à la lumière de la foi catholique. Un volumineux document composé de pas moins de 190 pages, 6 chapitres, 246 paragraphes et deux prières, le tout directement inspiré par saint François d’Assise, bien entendu, mais aussi par saint Benoît, sainte Thérèse de Lisieux ou encore le bienheureux Charles de Foucauld.

Comment ne pas commencer par remarquer les références fort nombreuses à l’encyclique de Benoit XVI Caritas in veritate ? De fait, cette dernière a déjà approfondi les deux thèmes fondamentaux de Laudato si’ : celui de la technique et celui de notre rapport avec la nature. La continuité entre les deux encycliques est donc évidente. Mais le Pape n’omet pas non plus de citer Pacem in terris et même de se référer abondamment à son ami Bartolomé I, le patriarche orthodoxe de Constantinople (§§. 6-8).

Concernant la technique, Caritas in veritate y avait consacré un chapitre entier tandis que dans Laudato si’, le thème est récurant. Si le développement technique a porté ses fruits, il a aussi révélé ses limites dans l’esprit de la technicité qui nous domine, ce que le pape François appelle désormais : le paradigme technocratique. C’est un paradigme de possession et d’auto-exaltation individualiste qui donne aux hommes le pouvoir sans la responsabilité. Or, il n’y a pas de liberté sans responsabilité.

Concernant notre rapport avec la nature, celui-ci est communément réduit à la question écologique. La perspective de Laudato si’ est bien plus ample. Il n’existe pas de question uniquement écologique. Celle-ci est avant tout un problème anthropologique, et même, dirions-nous, théologique, c’est-à-dire qu’elle touche directement au rapport de la créature avec son Créateur.

Pour bien situer l’encyclique dans le corpus de la doctrine sociale de l’Eglise, nous pouvons dire qu’ici la question de la nature, du rapport de la créature avec son Créateur, est considérée comme la clef de lecture de l’entière question sociale. De la nature, explique le Pape, l’homme tire ses condition de vie, mais il tire aussi ses raisons de vivre, s’il est capable de la voir selon l’enseignement divin. Le créé nous parle et prendre soin de lui s’est aussi prendre soin de l’homme. C’est pourquoi le Pape discute de tant de questions qui sont généralement éliminée de la question environnementale : la famille et la vie, le travail et l’entreprise, le développement et la pauvreté.. Le rapport entre la créature et son Créateur est donc bien central à toute la vie sociale.

Déjà Jean-Paul II et Benoit XVI en parlant d’« écologie humaine » avaient explicités la conception proprement chrétienne de la question environnementale. C’est ainsi qu’ils ont toujours placés au cœur de la question écologique la protection de la vie, des droits des embryons humains, la famille. Ainsi se sont-ils constamment opposés à toute planification familiale, aux différents modèles néo-malthusianistes, selon lesquels le salut de l’écosystème dépendrait de la réduction planifiée des naissances. Ces conceptions rentrent parfaitement dans le paradigme technocratique que Laudato si’ dénonce. Le Pape François montre aussi la contradiction partagée par tant de mouvements écologiques qui défendent l’environnement naturel mais non l’environnement humain. La nature, si on l’accepte comme le créé, ne peut être artificiellement divisée en secteurs, elle forme un tout intégral selon le dessein bienveillant de Dieu. De même en est-il de l’acceptation de son propre corps, dans sa masculinité ou sa féminité, comme un don de Dieu (§ 155).

C’est bien dans ce sens que l’expression « écologie intégrale » (§. 137) doit être comprise. Intégral ne doit pas être entendu au sens d’une idéologie intégrale. Le Pape François sait combien d’écologistes sont victimes d’idéologies réductives et simplificatrices. « Intégrale » signifie plutôt : qui porte attention à toute les interconnections, horizontales et surtout verticales, globale pourrions-nous dire. le Pape est très attentif à montrer toutes ces interconnexions, souvent vitales, qui existent entre les questions. Cela dérive tout simplement du fait que la création est un tout, non pas une somme de particuliers, un unique discours sur l’homme. De cette écologie « intégrale » le pape François défend tous les aspects, de l’aspect social à celui culturel, de celui propre à la vie quotidienne à celui sacramentel et eucharistique. Tout se tient, et ce qui tient toujours le tout est la vie chrétienne, une vie implantée en Jésus-Christ. Ainsi le Pape François élève-t-il le discours très haut, jusqu’à nous parler de la très sainte Trinité. Les dogmes de la foi catholique ne sont de fait pas éloignés de notre vie terrestre et de nos rapports avec Sora Nostra Madre Terra.

Certes, l’expression « conversion écologique », reprise de Jean-Paul II, risque de faire débat, risque aussi d’être instrumentalisée en étant réduite à ce qu’elle n’est pas, selon l’esprit de ce monde. Le Pape utilise beaucoup d’exemples concrets et quotidiens, très simples parfois. Mais cela ne veut pas dire que le souci de la Création soit à réduire, il a un sens très profond et très élevé, s’il est résolument chrétien. C’est pourquoi la « conversion écologique » ne peut être réduite à notre consommation d’eau ou d’électricité, mais nécessite une profonde conversion à notre Créateur, qui, dans sa bonté, a tout disposé pour que l’homme puisse le rencontrer et le louer. Et cela aussi dans les toutes petites choses comme l’attention à la consommation d’eau, le respect des animaux, l’écosystème ou l’amour envers nos frères les plus pauvres : autant de façons pour le chrétien d’exprimer sa réelle conversion.

Cela ne surprendra personne que l’encyclique Laudato si’ attache une attention toute particulière à la pauvreté et aux pauvres. Mais là encore, la pauvreté ne peut se réduire à une question économique, et la lutte contre la pauvreté ne peut être entendue en de seuls termes économiques. Ceux qui paient le prix fort du non respect de la nature sont toujours les exclus. Or, bien souvent les idéologies qui se sont attachées à défendre les plus pauvres ont été les plus dévastatrices en matière écologique. De la l’importance de défendre une vision intégrale de l’écologie. Car, si nous changeons notre cœur, pacifions les rapports entre la création et le Créateur, les relations humaines sont enrichies et les pauvres considérés.

Changement climatique, droit universel à l’accès à l’eau potable et sûre, protection de la biodiversité, flux migratoires, pollution, culture du déchet, armement chimique, ogm ou consumisme exagéré autant de thèmes abordés, qui invitent tout un chacun à un véritable changement de vie. Certes, le risque est réel d’utiliser la parole du Pape de façon réductrice, d’autant que certaines de ces questions scientifiques font encore débat, et que d’autres seront très certainement récupérées par des idéologues rétrogrades. Laudato si’ est de fait adressé à tous, croyant et non croyant. Aussi, n’a-t-elle de cesse de leur rappeler « la lumière qu’offre la foi » (§§. 63 et svt).

"76. Pour la tradition judéo-chrétienne, dire ‘‘création’’, c’est signifier plus que ‘‘nature’’, parce qu’il y a un rapport avec un projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une signification. La nature s’entend d’habitude comme un système qui s’analyse, se comprend et se gère, mais la création peut seulement être comprise comme un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous, comme une réalité illuminée par l’amour qui nous appelle à une communion universelle.

77. « Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits » (Ps 33, 6). Il nous est ainsi indiqué que le monde est issu d’une décision, non du chaos ou du hasard, ce qui le rehausse encore plus. Dans la parole créatrice il y a un choix libre exprimé. L’univers n’a pas surgi comme le résultat d’une toute puissance arbitraire, d’une démonstration de force ni d’un désir d’auto-affirmation. La création est de l’ordre de l’amour. L’amour de Dieu est la raison fondamentale de toute la création "