La nouvelle évangélisation qu’est-ce que c’est ? Eléments de réponse livresques

31 mai 2012

Suite à la formation du Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, le prochain synode des Evêques à Rome sera consacré à la nouvelle évangélisation. Mais la nouvelle évangélisation qu’est-ce que c’est ? Pour tenter d’y répondre, poussés par l’Esprit, bon nombre d’auteurs prennent actuellement la plume. Entre la préconisation d’un certain retour en arrière et de toutes nouvelles expériences qui font fi de la tradition, il n’est pas facile de s’y retrouver.

De tous ces livres, celui que l’on se permettra de recommander en premier lieu est bien celui d’Hervé Marie Catta, Des Menhirs à internet, la nouvelle évangélisation (éditions France Catholique -diffusion Salvator-, 2011, 222 pages, 22 €).
 
Voici un ouvrage qui se lit très vite, comme un roman d’aventures, plein d’anecdotes, d’expériences concrètes et de nombreux témoignages. Où l’on passe d’expériences d’évangélisation de la rue à internet, de la Russie (avec le magazine : Lioubov & Istina -Amour et vérité-) à l’Amérique latine, en passant par l’Afrique et la Chine communiste. Hervé Catta, en breton bretonnisant, n’a pas peur de l’inculturation et surtout d’annoncer Jésus Christ a temps et à contre temps.
Suite à sa conversion, l’auteur quitte le barreau et rejoint Pierre Goursat aux débuts de l’Emmanuel. Marié avec de Martine, co-fondatrice de l’Emmanuel, ils ont trois enfants. Il exerce alors des responsabilités internationales pour le Renouveau charismatique catholique.
Ces trois extraits pour vous donner envie de le lire :
Sur les cultures et l’évangélisation : « Combien de portes du cœur se sont ouvertes devant ce signe de respect d’une autre langue et d’une autre civilisation  ! On s’imagine qu’en recourant à « la langue internationale », c’est-à-dire en disant d’emblée quelques mots d’anglais à tout citoyen du monde, on a fait un gros effort « d’acculturation ». J’ai préféré essayer de donner aux gens le sentiment qu’ils étaient d’un pays différent du mien, digne d’être découvert, et tout à fait unique dans l’histoire du monde. Et j’ai beaucoup reçu en retour. Je n’en suis pas resté là. Lorsque nous avons publié en Russie et en Sibérie, durant plusieurs années un petit magazine, j’ai travaillé à découvrir, par la littérature et l’histoire des idées, quelque chose du génie de ce peuple. Après des années de voyages, de découvertes et de rencontres et diverses initiatives dans ces pays, nous avons été amenés à utiliser ces expériences dans une nouvelle façon d’annoncer l’Évangile : l’évangélisation par Internet. Nos sites ont reçu durant l’année 2010 plus de 700 000 visites. Aujourd’hui, à partir d’un minuscule bureau à bord d’une péniche sur la Seine, auprès du pont de Neuilly, j’annonce l’Évangile chaque mois dans plus de cent pays, en 16 langues – y compris le breton de mon enfance.
Et voilà comment en résumé s’est fait mon chemin depuis les menhirs jusqu’à l’internet.
C’est une grande joie pour moi, grâce à Pierre Goursat, fondateur de la Communauté Emmanuel, d’être devenu un évangélisateur laïc, associé à tant de frères et sœurs de l’Emmanuel. J’ai eu la chance de pratiquer un certain nombre de manières d’évangéliser. Pierre, dès le début de la Communauté Emmanuel a eu le sens qu’ensemble nous pouvions, avec l’Esprit-Saint, mener des actions qui nous dépassaient. » pp. 5-6
A propos de l’évangélisation de rue : « Une fois un jeune, avec un accent québécois à couper au couteau, s’approche et dit : « Vous êtes sûrement des charismatiques ! » Je lui réponds que oui et dis : « Toi, mon gars, tu es sûrement de la Belle Province ! ». Stupéfait, il répond : « Comment tu le sais ? » Nous avons ensuite bavardé et il nous dit (…) « Moi je ne crois à rien, je suis libre, j’adore personne. » Il allait partir, mais je lui dis : « La différence entre toi et moi c’est que moi je sais qui j’adore, et donc je suis libre. Tout le monde adore quelqu’un ou quelque chose, mais toi tu ne sais pas ce que tu adores et donc tu n’es pas libre ». Il est parti visiblement surpris. Il s’était passé quelque chose pour lui. Je pense que cela a dû le travailler un certain temps. J’ai confié la suite à l’Esprit Saint. » p. 13
Annoncer l’Évangile même quand on est de pauvres pêcheurs ? « Une chose qui m’étonne toujours, dans les prédications ou les enseignements, c’est d’entendre dire qu’il est nécessaire d’être saint pour évangéliser. On nous dit : « Pour vraiment annoncer l’Évangile, il faut le vivre. On ne peut pas annoncer quelque chose qu’on ne vit pas ». Mais c’est tout le contraire de l’Évangile, sous les apparences de vérité ! Qui peut dire que la Samaritaine vivait déjà parfaitement l’Évangile lorsqu’elle est allée chercher tous ceux de son village pour les amener à Jésus ? Saint Pierre lui-même dit à Jésus : « Retire-toi de moi car je suis un pécheur. » Jésus l’envoie quand même. Il faut donc bien distinguer : « S’efforcer de vivre ce qu’on annonce » de : « On n’annonce que ce qu’on vit ». p. 96
 
Dans un tout autre style vient de paraître le dernier livre du père dominicain Thierry-Dominique Humbrecht où il traite aussi de la nouvelle évangélisation : L’évangélisation impertinente Guide du chrétien au pays des postmoderne (Parole et Silence, 2012, 286 p., 22,00 €).
Son constat est courageux, sévère et réaliste : dans notre civilisation postmoderne, c’est-à-dire déstructurée, les chrétiens ont encore trop souvent tendance à se taire, à suivre, à s’enfouir. Or, il est temps d’affronter notre société et de lui annoncer la Bonne Nouvelle, car « le paquebot (l’Eglse) est devenu barque ».L’auteur, qui a une très grande estime du philosophe Etienne Gilson, dénonce ainsi le fait qu’aujourd’hui le chrétien est celui qui ne dit rien. Les raisons en sont nombreuses, mais pour le père Thierry-Dominique c’est en particulier parce que la catéchèse lui a appris à se taire (les seuls qui parlent aujourd’hui sont les musulmans ironise-t-il) ; quant à l’école catholique, elle s’est largement et volontairement sabordée. Fruit de ces quarante années « à être le levain dans la pâte » : les petits enfants de ceux qui se sont tus ne sont plus baptisés ; ainsi en 1969 un français sur trois allait à la messe tous les dimanches, en 2012 ils sont entre deux et six pour cent. Les chiffres parlent d’eux mêmes.
Il appelle postmoderne le monde déstructuré où nous vivons (cf. les médias, l’art, nos classes dirigeantes…). La modernité c’est la raison, la postmodernité c’est la subjectivité incohérente, le relativisme, le nihilisme. Aussi notre génération est-elle devenue ignorante, sans repaires, incapable à affronter les difficultés de la vie, elle est aussi très affective, mais bienveillante.
Bref, nous sommes dans une situation d’ « athéisme catholique », c’est-à-dire que nous avons gardé le cadre catholique du tableau (la culture) mais nous avons a évacué toute référence à Dieu (le fond). L’exemple le plus frappant en est les droits de l’homme, dont l’origine est indubitablement chrétienne. Dans un premier temps, après avoir renié Dieu, les modernes en ont gardés l’universalisme, mais aujourd’hui, sans fondements, les droits de l’homme ne tiennent plus (surtout devant les autres religions). Au court de ses développements l’auteur n’hésite pas non plus à critiquer le communautarisme pour stimuler la communauté.
Si le Père Thierry-Dominique encourage la prise de parole des chrétiens, ce ne doit pas être n’importe laquelle : elle doit être forte, vive et surtout formée. Pour la nouvelle évangélisation de notre civilisation, il souhaite que les chrétiens s’arment c’est-à-dire avant tout se cultivent, car, pour lui, se préparer au combat c’est surtout se former, soit très concrètement en étudiant (en tout premier lieu le Catéchisme de l’Église catholique, ensuite de bons bouquins de philosophie : « Seule la science permet d’en imposer  » p.152). De même il explique que les personnes les plus à mêmes à se donner à la nouvelle évangélisation sont les personnes consacrées dans le célibat, car la vie de couple empêche de se donner totalement. Enfin, mais c’est loin d’être tout, il encourage l’école catholique à être catholique, les médias catholiques mais aussi nos évêques à avoir une parole puissante et solide et non pâle et insipide comme c’est trop souvent le cas…
Bref, si la photographie de notre monde contemporain dressée par le Père Humbercht est très certainement fondée et percutante, si son style est excellent (même si l‘ouvrage est d’un abord parfois difficile), libre à vous de ne pas en partager toutes les solutions.
 
Citons pour finir la conférence que le Cardinal Joseph Ratzinger donna sur le thème de la Nouvelle Evangélisation le 10 décembre 2000. Où l’on retrouve la profondeur et la foi de notre Pape.
 
CONFÉRENCE DE S. Em. LE CARD. JOSEPH RATZINGER SUR LE THÈME DE LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION, 10 décembre 2000
 
 La vie humaine ne se réalise pas d’elle-même. Notre vie est une question ouverte, un projet incomplet qu’il nous reste à achever et à réaliser. La question fondamentale de tout homme est : comment cela se réalise-t-il - devenir un homme ? Comment apprend-t-on l’art de vivre ? Quel est le chemin du bonheur ?
Evangéliser signifie : montrer ce chemin - apprendre l’art de vivre. Jésus a dit au début de sa vie publique : Je suis venu pour évangéliser les pauvres (Lc 4, 18) ; ce qui signifie : j’ai la réponse à votre question fondamentale ; je vous montre le chemin de la vie, le chemin du bonheur - mieux : je suis ce chemin. La pauvreté la plus profonde est l’incapacité d’éprouver la joie, le dégoût de la vie, considérée comme absurde et contradictoire. Cette pauvreté est aujourd’hui très répandue, sous diverses formes, tant dans les sociétés matériellement riches que dans les pays pauvres.
L’incapacité à la joie suppose et produit l’incapacité d’aimer, elle produit l’envie, l’avarice - tous les vices qui dévastent la vie des individus et du monde. C’est pourquoi nous avons besoin d’une nouvelle évangélisation - si l’art de vivre demeure inconnu, tout le reste ne fonctionne plus. Mais cet art n’est pas un objet de la science - cet art ne peut être communiqué que par celui qui a la vie - celui qui est l’Evangile en personne.
 
I. Structure et méthode de la nouvelle évangélisation 
1. La structure
Avant de parler des contenus fondamentaux de la nouvelle évangélisation, je voudrais dire un mot à propos de sa structure et de la méthode appropriée. L’Eglise évangélise toujours et n’a jamais interrompu le cours de l’évangélisation. Elle célèbre chaque jour le mystère eucharistique, administre les sacrements, annonce la parole de vie - la Parole de Dieu, s’engage pour la justice et la charité. Et cette évangélisation porte ses fruits : elle donne la lumière et la joie, elle donne un chemin de vie à tant de personnes ; et beaucoup d’autres vivent, souvent même sans le savoir, de la lumière et de la chaleur resplendissantes de cette évangélisation permanente. Cependant, nous observons un processus progressif de déchristianisation et de perte des valeurs humaines essentielles qui est préoccupant. Une grande partie de l’humanité d’aujourd’hui ne trouve plus, dans l’évangélisation permanente de l’Eglise, l’Evangile, c’est-à-dire une réponse convaincante à la question : Comment vivre ?
C’est pourquoi nous cherchons, outre l’évangélisation permanente, jamais interrompue, et à ne jamais interrompre, une nouvelle évangélisation, capable de se faire entendre de ce monde qui ne trouve pas l’accès à l’évangélisation « classique ». Tous ont besoin de l’Evangile ; l’Evangile est destiné à tous, et pas seulement à un cercle déterminé, et nous sommes donc obligés de chercher de nouvelles voies pour porter l’Evangile à tous.
Mais ici se cache également une tentation - la tentation de l’impatience, la tentation de chercher tout de suite le grand succès, de chercher les grands nombres. Ce n’est pas la méthode de Dieu. Pour le Royaume de Dieu, comme pour l’évangélisation, instrument et véhicule du Royaume de Dieu, est toujours valable la parabole du grain de sénevé (cf. Mc 4, 31-32). Le Royaume de Dieu recommence toujours de nouveau sous ce signe. La nouvelle évangélisation ne peut pas signifier : attirer tout de suite par de nouvelles méthodes plus raffinées les grandes masses qui se sont éloignées de l’Eglise. Non - ce n’est pas cela la promesse de la nouvelle évangélisation. La nouvelle évangélisation signifie : ne pas se contenter du fait que du grain de sénevé a poussé le grand arbre de l’Eglise universelle, ne pas penser que le fait que dans ses branches toutes sortes d’oiseaux peuvent y trouver place suffit - mais oser de nouveau avec l’humilité du petit grain, en laissant Dieu choisir quand et comment il grandira (Mc 4, 26-29). Toutes les grandes choses commencent toujours par un petit grain et les mouvements de masse sont toujours éphémères. Dans sa vision du processus de l’évolution, Teilhard de Chardin parle du « blanc des origines » : Le début des nouvelles espèces est invisible et introuvable pour la recherche scientifique. Les sources sont cachées - trop petites. Autrement dit : Les grandes réalités commencent dans l’humilité. Ne nous inquiétons pas de savoir si, et jusqu’à quel point, Teilhard a raison avec ses théories évolutionnistes ; la loi des origines invisibles dit une vérité - une vérité présente précisément dans l’agir de Dieu dans l’histoire : "Ce n’est pas parce que tu es grand que je t’ai élu, bien au contraire - tu es le plus petit des peuples ; je t’ai élu parce que je t’aime... " dit Dieu au peuple d’Israël dans l’Ancien Testament, et il exprime ainsi le paradoxe fondamental de l’histoire du salut : Certes, Dieu ne compte pas avec les grands nombres ; le pouvoir extérieur n’est pas le signe de sa présence. Une grande partie des paraboles de Jésus indiquent cette structure de l’agir divin et répondent ainsi aux préoccupations des disciples, qui attendaient du Messie bien d’autres succès et signes - des succès du genre de ceux offerts par satan au Seigneur : Tout cela - tous les royaumes du monde - je te le donnerai... (Mt 4, 9). Certes, Paul à la fin de sa vie a eu l’impression d’avoir porté l’Evangile jusqu’aux extrémités de la terre, mais les chrétiens étaient de petites communautés dispersées dans le monde, insignifiantes selon des critères séculiers. En réalité, elles furent le levain qui pénètre de l’intérieur la pâte et portèrent en elles l’avenir du monde (cf. Mt 13, 33). Un vieux proverbe dit : « Le succès n’est pas un nom de Dieu ». La nouvelle évangélisation doit se soumettre au mystère du grain de sénevé, et ne doit pas prétendre produire tout de suite un grand arbre. Nous vivons tantôt dans la trop grande sécurité du grand arbre déjà existant, tantôt dans l’impatience d’avoir un arbre plus grand, plus vigoureux - nous devons au contraire accepter le mystère que l’Eglise est à la fois le grand arbre et le grain minuscule. Dans l’histoire du salut, c’est toujours en même temps Vendredi saint et Dimanche de Pâque...
 
2. La méthode
De cette structure de la nouvelle évangélisation découle aussi la méthode appropriée. Certes, nous devons utiliser de manière raisonnable les méthodes modernes pour nous faire entendre - mieux : pour rendre la voix du Seigneur accessible et compréhensible... Nous ne cherchons pas seulement l’écoute pour nous - nous ne voulons pas augmenter le pouvoir et l’extension de nos institutions, mais nous voulons nous mettre au service du bien des personnes et de l’humanité en faisant place à Celui qui est la Vie. Cette expropriation de soi-même, en l’offrant au Christ pour le salut des hommes, est la condition fondamentale d’un authentique engagement pour l’Evangile. « Je suis venu au nom de mon Père et vous ne m’accueillez pas » ; qu’un autre vienne en son propre nom, celui-là vous l’accueillez" dit le Seigneur (Jn 5, 43). Le signe distinctif de l’antéchrist est de parler en son nom propre. Le signe du Fils est sa communion avec le Père. Le Fils nous introduit dans la communion trinitaire, dans le cercle de l’amour éternel, dont les personnes sont des « relations pures », l’acte pur de se donner et de se recevoir. Le dessein trinitaire - visible dans le Fils, qui ne parle pas en son nom - montre la forme de vie du véritable évangélisateur - mieux encore, évangéliser n’est pas uniquement une façon de parler, mais une façon de vivre : vivre dans l’écoute et se faire la voix du Père. « Car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira » dit le Seigneur à propos de l’Esprit Saint (Jn 16, 13). Cette forme christologique et pneumatologique de l’évangélisation est en même temps une forme ecclésiologique : le Seigneur et l’Esprit construisent l’Eglise, se communiquent dans l’Eglise. L’annonce du Christ, l’annonce du Royaume de Dieu suppose l’écoute de sa voix dans la voix de l’Eglise. « Ne pas parler en son propre nom » signifie : parler dans la mission de l’Eglise...
De cette loi de l’expropriation découlent des conséquences très pratiques. Toutes les méthodes raisonnables et moralement acceptables doivent être étudiées - c’est un devoir d’utiliser ces possibilités de communication. Mais les paroles et tout l’art de la communication ne peuvent atteindre la personne humaine à la profondeur à laquelle doit arriver l’Evangile. Il y a quelques années, je lisais la biographie d’un excellent prêtre de notre siècle, Dom Didimo, curé de Bassano del data-scaytid=« 221 » data-scayt_word=« Grappa »>Grappa. Dans ses notes, on trouve des paroles précieuses, fruit d’une vie de prière et de méditation. A ce propos, Dom

data-scayt_word=« Didimo »>Didimo dit par exemple : « Jésus prêchait le jour, la nuit il priait ». Par cette brève remarque il voulait dire : Jésus devait acquérir ses disciples de Dieu. Cela toujours valable. Nous ne pouvons pas gagner, nous, les hommes. Nous devons les obtenir de Dieu pour Dieu. Toutes les méthodes sont vides sans le fondement de la prière. La parole de l’annonce doit toujours baigner dans une intense vie de prière.