La Foi des démons ou l’athéisme dépassé

6 octobre 2009

de Fabrice Hadjad, Edition Salvator, 2009, 300p., 20,00 €.

Dramaturge, écrivain, professeur de philosophie au Séminaire de Toulon et de littérature au lycée, depuis quelques années (surtout depuis 2005 avec son excellent livre au titre provocant, Réussir sa mort, Anti-méthode pour vivre, Presses de la Renaissance, 408 p., 19,00 €, à lire absolument), tout le monde parle de cet auteur convaincu et tellement convaincant : Fabrice Hadjadj. De fait, son style est toujours extrêmement brillant, rapide, profond, souvent caustique et provocant. Bref, voilà un philosophe qui n’a pas peur des mots, de ses idées, de sa foi et du politically correct !

Juif converti au christianisme, ce jeune intellectuel catholique n’hésite pas pour autant à nous faire rire, ses réflexions allant, d’un trait, du plus profond au plus léger, comme dans La Profondeur des sexes, pour une mystique de la chair (Seuil, 2008,314 p., 20,00 €). Ses citations sont très nombreuses, toujours choisies avec soin : Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin, Jacques Maritain bien sur, mais aussi Sade, Baudelaire, Onfray ou Saint Jean de la Croix (parfois dans la même page). Dans chacun de ses ouvrages, il aborde de très nombreux sujets (sans doute un peu trop, on a du mal à suivre !), avec toujours ses formidables hymnes à la vie, au sexe et à la résurrection (…de la chair).

Dans son dernier livre sur La foi des démons, on retrouve son combat contre tout dualisme, et donc son attachement à l’Incarnation et l’humilité d’un Christ fait homme, au fait que la foi chrétienne est toujours très concrète, ne séparant jamais l’esprit du corps.

Comme d’habitude, l’idée de départ est géniale : la foi ne suffit pas, car les démons ont la foi. « Tu crois qu’il y a un seul Dieu, tu fais bien ; les démons le croient aussi, et ils tremblent. Veux-tu savoir, ô homme vain, que la foi sans les œuvres est inutile ? » (Jc 2, 19-20). Les croyants sont donc en grand danger s’ils leur manquent la charité, l’amour-don (et non l’amour-propre) et l’humilité. F. Hadjajd nous montre comment Jésus ne s’en est pas pris aux athées de son époque, ni aux polythéistes (fort nombreux), mais au contraire, aux pharisiens et aux scribes.

Le diable est pur esprit, pure intelligence (intelligence privée de la grâce). Aussi n’a-t-il de cesse de tenter de séparer en nous le corps de l’âme, d’opérer une dichotomie entre ce qui serait le profane et le sacré. Trop souvent on limite son action aux péchés de la chair, à la luxure, or, « le commencement de tout péché est l’orgueil » (Si 10, 15). Orgueil de croire que nous pouvons vivre sans Dieu, prendre sa place et être autonome, ce qui ruine l’homme et lui ferme les portes de la vie. L’humilité, elle seule, le sauve.

On l’aura compris ce beau livre, au dire de l’auteur lui-même, consiste moins en un traité de démonologie qu’en un essai sur le combat de la foi. Car Fabrice Hadjadj nous démontre que l’on peut être démoniaque en tout en connaissant parfaitement les articles de la foi catholique, dès lors que l’on ne sert pas Dieu ; que l’on est perdu, dès lors que l’on oublie que l’on a besoin d’un Sauveur. Une fois encore, on appréciera le choix de ses citations. Ainsi, celles de Baudelaire, fort importantes à sa démonstration ; celles, nombreuses, de Carl Lewis (tirées de la Tactique du Diable) ; ou encore celle, splendide, de Saint Louis Marie Grignon de Montfort, sur la rage du démon devant l’humilité de Marie ; ou enfin, son choix d’extraits de lettres de Mère Térésa, démontrant la foi et l’amour prodigieux de cette dernière (cf. Viens, sois ma lumière).

Deux points nous restent à préciser, qui n’enlèvent rien au brio de Fabrice Hadjadj et à l’excellence de ses thèses. Tout d’abord, ces livres sont écrit par un philosophe épris de théologie : ils sont donc parfois ardus. Ensuite, aussi difficile soit-il d’émettre une critique, au fil des pages, l’auteur, poursuivant avec élan sa démonstration, prend peut-être un peu trop parti.

Impossible de choisir un extrait de La Foi des démons, car il faudrait trop citer, en voici donc la quatrième page de couverture :
« Qui est l’Ennemi ? Un minimum de stratégie commande que nous sachions le reconnaître. Rien de pire que de se tromper d’adversaire. Et pas de plus funeste erreur que de prendre le moins pour le plus dangereux. De nombreux chrétiens estiment que cet ennemi se trouve surtout parmi les libertins et les luxurieux ; or les démons sont des anges et ignorent les plaisirs de la chair. D’autres voudraient qu’il se rencontre d’abord parmi les athées ou les agnostiques ; or »les démons croient, rappelle saint Jacques, et ils tremblent" : pas un article de foi qu’ils ne tiennent pour véridique ! À quoi j’ajoute, puisque ce sont de purs esprits, qu’ils sont partisans de l’idéal et friands de spiritualités.

Vous commencez à comprendre ? Vous commencez à trembler, vous aussi ? Pour le dire en un mot, nul ne ressemble plus à l’Ennemi qu’un certain type de croyant. Si bien que le démoniaque n’est pas si extérieur qu’on se l’imagine. Si bien que ce peut être vous - ou moi...

Il ne s’agit pas tant ici d’un chapitre arraché à un traité de démonologie que d’une réflexion à la source sur la logique du mal, afin de mieux l’affronter au-dehors de nous comme au fond de nous-mêmes. Ce livre est donc un petit bréviaire de combat (et de vulnérabilité), une leçon de ka(ra)téchisme, pour ainsi dire, afin d’apprendre comme saint Paul à « faire du pugilat sans frapper dans le vide » (1 Co 9,27)."